D. Superposition de plusieurs notes

     Maintenant que nous avons vu les trois propriétés fondamentales d’une note (la hauteur, le timbre et l’intensité) ainsi que leurs grandeurs physiques associées, nous savons désormais décrire entièrement un son. Mais il ne faut pas perdre de vue notre problématique qui repose sur la consonance des accords: il faut donc maintenant chercher à décrire ce qui se passe lorsque nous superposons plusieurs sons en même temps.

     Une propriété remarquable de l’équation d’onde est qu’elle est linéaire, c’est-à-dire que si l’on a deux solutions, leur somme en est une aussi. Ainsi, pour superposer deux ondes, nous les additionnons simplement et elles ne s'influencent pas mutuellement, propriété connue sous le nom du principe de superposition.

     Par exemple, superposons deux ondes sinusoïdales de même amplitude, de fréquence respectives et et de même phase. Par une identité trigonométrique, nous calculons que l’onde résultante vaut:

     Nous remarquons que lorsque les deux fréquences tendent l’une vers l’autre, le facteur tend vers une onde dont la fréquence est proche des deux de départ (c’est leur moyenne). Le facteur tend vers une onde dont la fréquence est très petite lorsque les deux fréquences se rapprochent. Ainsi, c’est une onde dont l’enveloppe a une période très longue. Cette grande enveloppe se traduit par une modulation d’amplitude du son résultant, ce qui est très désagréable à l’oreille, et l’on appelle ce phénomène les battements. Par exemple, cet enregistrement est la superposition de deux sons de fréquences voisines ( et ), et l’on entend très clairement les battements.


     L’écart entre deux sons peut être quantifié par le rapport des fréquences des deux notes considérées. Nous remarquons que c’est une grandeur sans unité qui est indépendante de l’unité de temps que l’on choisit au départ pour mesurer leurs fréquences respectives, donc c’est bien une propriété intrinsèque. À chaque intervalle, nous pouvons donc associer un rapport.

     

 

Intervalles

Seconde

Tierce

Quarte

Triton

Qualité

Mineure

Majeure

Mineure

Majeure

Juste

 

Rapport

10/9

9/8

6/5

5/4

4/3

Intervalles

Quinte

Sixte

Septième

Octave

Qualité

Juste

Mineure

Majeure

Mineure

Majeure

Juste

Rapport

3/2

8/5

5/3

9/5

15/8

2

    Tableau 5: intervalles classiques avec leurs rapports correspondants

     

     Nous remarquerons la différence entre une note et un son, puisque la note est attribuée à un son à une hauteur à une octave près. C’est-à-dire que deux sons espacés d’un nombre quelconque d’octaves représentent la même note. Autrement dit, le rapport des fréquences des deux notes est une puissance de deux. Posons la relation binaire entre deux fréquences et , et définissons la de telle sorte que et vérifient la relation si et seulement si il existe un entier n (qui peut être négatif) tel que . Nous pouvons vérifier sans peine que la relation est réflexive, symétrique et transitive, donc est une relation d’équivalence. Nous pouvons ainsi définir mathématiquement ce qu’est une note: c’est une classe d’équivalence par cette relation.

     Comme pour les notes, les rapports correspondants aux intervalles dédoublés peuvent être munis d’une relation d’équivalence qui permet d’identifier les intervalles simples aux intervalles dédoublés. Ainsi deux rapports et seront équivalents lorsque où n est un entier. Ainsi, en multipliant un rapport par une puissance de deux bien choisie, nous pouvons toujours revenir à un rapport entre 1 et 2, soit un intervalle entre l’unisson et une octave.

     Ce concept d’utiliser les rapports de fréquences au lieu des différences peut paraître contre-intuitif puisqu’il sous entend une perception logarithmique de la hauteur, ce qui veut dire que notre oreille perçoit uniquement la différence relative de hauteur de deux sons.

     Nous pouvons de même caractériser des accords par des coordonnées homogènes. Par exemple, pour trois notes de fréquences , , et , on notera donc l’accord , et donc l’accord sera considéré comme équivalent ( est un réel positif). Musicalement, cette équivalence montre que si l’on transpose un accord (terme musical pour translation en terme de hauteur) on obtiendra toujours le même accord.

     Ainsi, nous pouvons quantifier les accords de cette manière et donc étudier sa consonance revient à étudier ces coordonnées. Nous verrons maintenant comment Euler exploite ceci pour qualifier la consonance d’un accord.